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Smart : la flexibilité mensongère 2/4

Publié le par Philippe Schoonbrood

Smart : la flexibilité mensongère 2/4
Une innovation libérale intelligente 

SMart, l'abréviation de Société mutuelle pour artiste, est un conglomérat d'organisations (1) qui s'est saisi du statut d'artiste pour pouvoir intervenir en tant qu'intermédiaire dans le secteur artistique, en vue de réguler les missions de ceux qu'il qualifie de « travailleurs autonomes » qui, en principe, exercent différentes activités pour plusieurs donneurs d'ordre, avec des contrats de courte durée. Durant les périodes intermédiaires, SMart offre aux intéressés la protection sociale à laquelle ont droit les travailleurs salariés, pour une indemnité de minimum 6,5 %, sans trop de tracas administratifs. 

D'aucuns ont tiré le meilleur parti de ce fonctionnement qui était au départ accueilli chaleureusement au vu de la situation complexe des acteurs du monde culturel. Par exemple, 
en utilisant leur balance courante comme caution pour construire un empire immobilier sur le 
dos des artistes. 
Ou en intégrant de nombreux travailleurs dans ce « statut d'artiste », alors qu'il n'est pas prévu à cet effet. Par conséquent, les jeunes N-VA peuvent pointer du doigt les seuls artistes, qu'ils qualifient de fraudeurs à la sécurité sociale, alors que SMart regroupe désormais des travailleurs de tous horizons (2). 

Ou encore en présentant le statut d'artiste comme un revenu universel avant la lettre, ce qu'il n'est pas (3). C’est ce qui a poussé l'ONEM à intervenir et à revoir l'ensemble de la procédure, dont le fonctionnement est aujourd’hui plus complexe, voire dévastateur. Pour les syndicats, il est en outre particulièrement difficile de mobiliser les travailleurs puisqu’il ne s'agit pas d'une véritable entreprise de production, au sens classique du terme, et que les collaborateurs se connaissent à peine. 

Aujourd'hui, SMart compte 75 000 membres (qui ne prestent en moyenne que 26 jours par an) et le conglomérat est présent dans 8 pays européens (4). Outre les 120 collaborateurs fixes, il regroupe 2.400 équivalents temps plein pour réaliser un chiffre d'affaires de 125 millions € ! Doit-on y voir le miracle de la multiplication des (gagne-) pain(s) ? Faisant éclater les emplois stables et multipliant le nombre de petits jobs qui s’apparentent à du dumping social. 

De plus, SMart se greffe sur la législation existente comme un parasite (5), ce qui lui rapporte pas mal d'argent, et laisse ensuite les personnes concernées procéder à des constructions comptables en toute « liberté », alors qu'elles peuvent être poursuivies par l'inspection sociale, et là, c'est pour leur pomme !  C'est là,  le « SM de SMart » comme le qualifient certains artistes interviewés. De très nombreuses entreprises refusent désormais de collaborer avec les soi-disant travailleurs de l'ASBL SMart, suite à des défauts de paiement. Et, si vous souhaitez louer une camionnette ? Le numéro de TVA de la société figure peut-être sur une liste noire ! 

Frauder grâce à sa créativité 

La plupart du temps, les faux travailleurs ne sont pas conscients des problèmes qu'ils se créent. Ils optent pour SMart plutôt que pour un bureau social pour artistes (BSA) ou un bureau d'intérim, à cause de la flexibilité qu’offre ce conglomérat (il est possible d'antidater certains documents, à vos propres risques, vous pouvez aussi ignorer les CCT etc.) et surtout, parce que, sur le court terme, une mission rapporte plus en salaire poche. 

Il s'agit là d'un montage comptable quelque peu créatif, mais surtout d'une organisation extrêmement asociale : sans solidarité et sans partage des richesses, pas d'État providence. Faut-il rappeler ici que moins de cotisations sociales et plus de cadeaux fiscaux, cela signifie moins d'argent pour les subsides dédiés au secteur des soins de santé, à l'enseignement, aux transports publics et… à la culture. Le principe des vases communicants se vérifie ici aussi. 

Quelles sont ces pirouettes que SMart rend possible ?

Ne compter que trois heures de travail, au salaire minimum, pour une mission, mais comptabiliser 300 euros de frais de déplacement pour un aller-retour entre Uccle et Bruxelles. Ainsi, vous gagnez un maximum d'argent en un minimum de temps, puisque vous ne versez aucune cotisation sociale. En revanche, à long terme, en tant que « salarié », vous n'avez pas acquis de droits sociaux et vous sciez en réalité la branche sur laquelle vous êtes assis.

Toute personne ne payant pas suffisamment de cotisations pendant une année de travail est susceptible de se voir infliger une amende par l'inspection. Pourtant, SMart a pour ligne de fond « Votre projet est entre de bonnes mains ». 

Un autre exemple ?

Versez les revenus de droits d'auteur que vous recevez dans le système de SMart et rédigez ensuite un bon de commande qui vous sera adressé. Transformez ensuite ce montant en un salaire au travers d'un contrat temporaire. Après avoir rempli votre déclaration d'impôt, vous aurez une belle surprise : les services de contrôle vous réclameront les allocations de chômage éventuellement perçues, avec effet rétroactif, car vous avez tout de même bénéficié de revenus provenant de ces droits d’auteur, et ce, durant vos périodes de chômage. Vous vous retrouvez donc doublement plumé : vous payez un impôt sur vos droits (en tant que revenus mobiliers) et sur votre salaire bidon. Par ailleurs, vous perdez votre allocation de chômage et vous vous voyez infliger une amende.

D'un point de vue juridique, il est d'ailleurs incompréhensible que SMart soit considéré comme un organisme compétent pour la perception des droits d'auteur.

Mais, à défaut de poursuites judiciaires, cette anarchie ne fait que perdurer. 

Un dernier pour la route ?

Une chaîne de télévision wallonne paie ses journalistes au salaire minimum de 7 € de l'heure, mais le paiement est scindé en trois, en passant par une savante construction, les traitements sont payés en droits d'auteur afin d'éviter les cotisations sociales. Plusieurs spin-off de SMart régissent elles-mêmes le renvoi d'un sous-traitant à un autre pour dissimuler une comptabilité et ainsi échapper aux condamnations pour non-respect de la législation sur le travail intérimaire. 

Aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, suite à une procédure intentée par les syndicats, la justice a en effet déjà rendu plusieurs jugements sévères, déclarant ces constructions employant de faux travailleurs illégales. 

L'impact d'un tel levier sur les services publics est clair : cette main d'oeuvre bon marché les contraint à travailler en dessous des prix du marché, en mettant les travailleurs en concurrence, et obtenir ainsi un nivellement par le bas. 

L’autonomie du moi-entrepreneur ? 

Malheureusement, de nombreux employeurs préfèrent détourner le regard lorsqu’il est question d’emplois flexibles et précaires. Financièrement, ils y gagnent et c’est pour cette raison qu’ils ne restent pas indifférents aux explications de SMart sur le fameux « travailleur autonome ». Cela leur offre aussi une belle excuse afin de ne pas devoir proposer de meilleures conditions socio-économiques ou simplement un vrai contrat de travail. Hé, après tout, SMart existe et tout le monde le fait, n'est-ce pas ? 

Toutefois, et de cette façon, ils facilitent et légalisent le dumping social au travers d'un tout nouveau statut, revêtu du voile d'une communication positive. De plus, ils déchargent les organisations culturelles de la responsabilité de payer dignement les travailleurs du secteur culturel devenus ainsi des freelances.

Le statut de « travailleur autonome » serait LA solution ? Disons plutôt que c'est plutôt la maladie que le remède. Il s'agit d'un véritable cercle vicieux pour tous ceux qui souhaitent et peuvent aujourd'hui travailler dans des conditions justes. Ils deviennent alors subitement « trop chers ». Certes, le plaidoyer sur le « travailleur autonome » fait bonne figure : il laisse penser que vous défendez le principe de « liberté ». Dans le même temps, vous donnez l’impression de vouloir trouver une solution afin de mettre un terme à la situation précaire des travailleurs du secteur culturel.

Mais dans le même temps,vous vous abstenez de prendre des initiatives concrètes, et rejetez ainsi la responsabilité sur « l’État » et ses « structures rigides ». Le "storytelling" populaire sur le « travailleur autonome » cadre si bien avec l’esprit libéral du « tous entrepreneur », pour encourager les autres à faire du management à la « moi-entrepreneur » : entretenez vos relations par du réseautage, des social meetings, en devenant membre de diverses organisations. C'est la fin des structures officielles dont le but est tout de même de proposer des services accessibles à tous, avec un filet de sécurité social.

Ici, c'est : gérez vous-même votre propre pauvreté et vos dettes, chacun pour soi et le marché pour tous ! 

Robrecht Vanderbeeken

Secrétaire Général ACOD CULTUUR

(1)Outre Productions associées, on y retrouve par exemple Smartimmo, Smartsol, Matlease, Le palais de l'intérim, Tax shelter Ethique, Act, Artichaud, Rémacle Costume, SmartFr, SmartEu mais aussi bien d'autres activités en Pologne, en Suède, au Royaume-Uni, etc. Contrairement à ce que prône le conglomérat dans ses discours marketing sur la démocratie et la coopération, les affaires des SMart sont loin d'être transparentes et les travailleurs autonomes n'ont presque pas voix au chapitre. Ils peuvent néanmoins donner leur feedback.

(2) L'élargissement du statut réservé aux artistes à d'autres personnes en situation précaire est certes une démarche très noble. Mais s'il s'agit de forcer le cadre juridique existant par un effet de levier, la démarche s'apparente davantage à de la destruction qu'à une consolidation. Mettre en place un tel statut pour les personnes en situation précaire nécessite en effet un combat politique ainsi qu'une nouvelle législation en la matière.


(3) Même si le revenu universel semble être une merveilleuse idée pour certains, le statut d'artiste, lui, n'est pas prévu à cet effet. En voulant en faire usage de cette façon, cela revient à enterrer ce statut de protection sociale pour les travailleurs du secteur culturel. Vouloir faire du revenu universel un privilège réservé aux seuls artistes va d’ailleurs précisément à l’encontre de l'idée fondamentale du revenu universel pour tous. Mais bon, ce n'est qu'une position complaisante et diplomatique alors que la Flandre, qui s'est autoproclamée State of the arts, reste indifférente face à la paupérisation des artistes. D'aucuns se positionnent ainsi du bon côté des indignés, sans devoir faire quoi que ce soit pour autant.


(4) Selon une étude réalisée par SMart elle-même, Tijdelijke werkkrachten in de kunstsector, 2008.


(5) Économie de partage ? Selon la journaliste Marianne Hendrickx, SMart avait réalisé 350 000 euros de profit sur le dos de ses « travailleurs autonomes » en 2011. -‘SMart, multinationale sans but lucratif?’, Marianne édition belge, 2013.

Smart : la flexibilité mensongère 2/4
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M
N importe quoi. Versez vos droits d auteurs en salaire...quel idiot ferait ça? On est moins taxé sur les droits d auteurs! Vous présentez smart comme le diable mais que proposez vous comme alternative aux jeunes artistes qui malheureusement ont juste 28 jours de prestation sur l année, pas qu ils soient mauvais mais peut être juste parce qu ils se lancent et qu ils.sont bien heureux d avoir l.aide de smart. Parce que vous, c est quoi votre solution? Le travail au noir pour les artistes? Chaque artiste est obligé de devenir indépendant? Essayez d être sur le terrain avec les artistes plutôt que de faire passer vos stéréotypes sur eux, parce qu avec cet article, ca reviendrait au même si je disais que tous les.syndicalistes sont alcooliques et fainéants.
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P
Bonjour Mehdi, nous proposons un service public chargé de gérer les étapes intermédiaires entre les artistes et les commanditaires. Avec d'autres, la CGSP CULTURE considère que le nombre de structures entre les pouvoirs subsidiants et les artistes capte de plus en plus d'argent avant d'atteindre le portefeuille des créateurs, des interprètes, des techniciens... Nous ne pensons pas avoir caricaturé Smart... qui reconnait elle-même avoir dérapé par le passé, notamment dans l'utilisation abusive du RPI. Mais les choses évoluent... Smart évolue... les syndicats doivent évoluer...on y travaille. Encore ceci, les organisations syndicales sont le reflet de la société... nous n'échappons donc pas aux cas de dérives personnelles. Belle journée à vous !<br />